[Tribune] – Nourrir les malades à la hauteur de leur besoin, c’est déjà les soigner

Une tribune proposée par le Collectif de lutte contre la dénutrition aux Présidents et professionnels des CLAN et UTN de France

Ce qui est bon pour une majorité est-il bon pour tous ? Doit-on nourrir un malade comme on nourrit un bien portant ? L’alimentation des malades est un exemple typique d’injonctions contradictoires, laissant libre cours à toutes les dérives, financières, écologiques et idéologiques. Les trois se nourrissant l’une de l’autre. 

Au-delà de la nécessaire pédagogie sur l’enjeu de la prise en compte des besoins nutritionnels des malades, nous appelons à un véritable sursaut collectif pour faire de l’alimentation à l’hôpital une priorité et le premier des soins ! Il est en effet pour nous impensable que les malades soient les premières victimes de ces dérives. Pour y faire face, nous souhaitons que les instances collectives qui s’occupent de l’alimentation et de la nutrition – les Comités de Liaison Alimentation Nutrition (CLAN) – soient inscrits dans la loi et que leurs décisions s’imposent. 

Face au libre arbitre d’une administration parfois plus préoccupée par des objectifs financiers que par la qualité nutritionnelle des repas, nous affirmons qu’un soutien nutritionnel individuel et précoce réduit les complications chez les malades et sauve des vies [1] !

La nécessité de couvrir les besoins nutritionnels des malades

Le régime de type méditerranéen – et éviter les excès en sel, sucre et matières grasses – prévient certaines maladies dans une population de bien portants, mais rien n’indique que ce type de régime favorise la guérison des personnes malades, amaigries et affaiblies. Or des malades, il y en plusieurs millions en France : ils mangent moins que lorsqu’ils étaient en bonne santé et sont ainsi exposés à un risque bien réel de dénutrition. Celle-ci concerne par exemple au moins 30 % des personnes hospitalisées [2] ! Les aliments riches en énergie, qu’il faut limiter pour ne pas grossir, sont ceux qu’il faut favoriser pour ne pas maigrir.

Une alimentation saine et équilibrée est avant tout une alimentation qui couvre nos besoins, tous nos besoins. Sans excès, mais aussi sans défaut ! Manger moins de protéines animales peut être bénéfique pour un individu bien portant, surtout s’il en mange trop. Cela répond à des enjeux de prévention de certaines pathologies et de protection de l’environnement. En revanche, les plateaux servis dans les hôpitaux sont élaborés pour couvrir les besoins nutritionnels. Ils sont équilibrés et ne présentent pas d’excès de protéines. Il n’y a donc pas lieu d’en diminuer la quantité.

La qualité des protéines est essentielle. Contrairement aux protéines animales, le profil en acides aminés des protéines végétales est incomplet. De plus, les végétaux sont peu denses en protéines [3]. Les stratégies qui consistent à associer diverses sources de protéines végétales, pour compenser ces insuffisances peuvent être efficientes chez des bien portants informés et volontaires, mais cela implique de consommer de plus grands volumes de nourriture pour couvrir ses besoins. Ceci est le plus souvent irréalisable lorsque, malade, on souffre de perte d’appétit, alors même que la maladie peut augmenter les besoins en protéines.

Les impératifs écologiques ne doivent pas aller à l’encontre d’une alimentation adaptée pour les personnes malades 

Les malades hospitalisés et les personnes âgées institutionnalisées ne représentent que 2 % de la population majeure en France [4] : nous ne les considérons pas comme une cible prioritaire de la décarbonation de notre économie, d’autant plus si celle-ci entraîne des effets délétères sur la qualité de leur alimentation.

La lutte contre le gaspillage est aujourd’hui érigée en priorité pour diminuer l’empreinte carbone des établissements. Or les procédés de fabrication et de distribution des repas à l’hôpital aboutissent à la distribution de plateaux repas identiques en quantité pour tous les patients. Il est donc compréhensible que les malades avec un petit appétit ne finissent pas ce qu’on leur sert, quand d’autres reçoivent au contraire des repas insuffisants pour combler leurs besoins protéino-énergétiques. 

Des études [5] ont montré qu’il était possible, à l’hôpital, de limiter le gaspillage alimentaire tout en optimisant les apports protéino-énergétiques, mais cela impose un changement du mode de distribution nécessitant davantage de ressources humaines.

La question est celle des moyens que les hôpitaux sont prêts à consacrer à la restauration

Ne soyons pas dupes. Derrière des arguments écologiques se cachent souvent un enjeu économique, où les restrictions ont davantage pour objectif de diminuer encore le coût du repas, plutôt que de répondre aux besoins des patients. 

Acheter moins pour acheter mieux est un slogan non soutenu par les faits et produire des plateaux plus petits pour tout le monde exposera obligatoirement un plus grand nombre de patients à ne pas être nourris suffisamment. Derrière certaines expérimentations vertueuses données en exemple, combien de réalités navrantes avec une dégradation de l’offre alimentaire ? 

Pour mettre fin à cette situation, une solution existe 

Si la majorité des hôpitaux s’est dotée de Comité de Liaison Alimentation Nutrition (CLAN) depuis 2002 [6], leurs avis concernant l’optimisation de l’alimentation des malades restent consultatifs. Ces instances de dialogue pluriprofessionnel permettent pourtant de partager avec l’ensemble des acteurs hospitaliers les enjeux et les solutions à mettre en œuvre avant de prendre une décision sur la nutrition et l’alimentation des personnes hospitalisées. Leur mission principale est de favoriser le dépistage, le traitement et la prévention de la dénutrition, par la diffusion de bonnes pratiques cliniques et l’accompagnement des équipes. 

Les CLAN doivent désormais être pleinement inscrits dans la loi comme instances obligatoires et leurs décisions doivent s’imposer au sein des hôpitaux. Cette mesure simple est une nécessité face à ceux qui oublient parfois que l’alimentation est un soin.

  • [1] Individualised nutritional support in medical inpatients at nutritional risk: a randomised clinical trial Schuetz, Philipp et al. The Lancet, Volume 393, Issue 10188, 2312 – 2321.
  • [2] Thierry Chevalier, Josiane Arnaud, Jerôme Fauconnier, Eric Fontaine « Undernutrition in adult hospitalized patients and its impact on the length of stay », Clinical Nutrition ESPEN 67 (2025).
  • [3] Pour une portion de 20 g de protéines, il faudrait consommer 200 à 300 g de légumineuses, vs 80 g de viande
  • [4] On recense environ 370 000 lits d’hospitalisation (DREES) fin 2022 et 730 000 personnes en Ehpad en 2019, la population française de plus de 18 ans étant quant à elle d’environ 54,5 millions de personnes.
  • [5] Rinninella E, Hospital Services to Improve Nutritional Intake and Reduce Food Waste: A Systematic Review. Nutrients 2023: 15:310.
  • [6] Circulaire DHOS/E 1 n° 2002-186 du 29 mars 2002 relative à l’alimentation et à la nutrition dans les établissements de santé.

SIGNATAIRES : 

Pr Eric Fontaine, Président du CLAN du CHU de Grenoble et membre fondateur du Collectif de lutte contre la dénutrition 

Pr Agathe Raynaud-Simon, Présidente du Collectif de lutte contre la dénutrition et du CLAN central de l’AP-HP

Pr Pierre Jésus, Président du CLAN du CHU de Limoges et secrétaire du Collectif de lutte contre la dénutrition 

Pr Françoise Forette, Présidente d’ILC-France

Ghislain Grodard-Humbert, Président de l’Association Français des Diététiciens nutritionnistes (AFDN)

Pr Francisca Joly, Présidente de la Société francophone de nutrition clinique et métabolique (SFNCM)

Pr Sylvie Bonin-Guillaume, Présidente de la Société Française de Gériatrie et de Gérontologie (SFGG)

Présidents des Comités Liaison Alimentation Nutrition (CLAN) hospitaliers :

Dr Monelle BERTRAND, CHU de Toulouse

Pr Yves Boirie, CHU Clermont-Ferrand

Dr Cécile Bossu-Estour, CH Métropole Savoie

Dr Corinne Bouteloup, InterCLAN Auvergne

Dr Elise COTTO, Groupe Hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon

Pr Patrice Darmon, CHU La Conception et CHU Nord, AP-HM

Dr Bernard Dejonghe, CLAN des Franciliens 

Dr Richard Dekker, CHU Sud de la Réunion

Dr Frédéric Diebold, CHU Fréjus Saint-Raphaël

Pr Mouna Hanachi, hôpital Paul Brousse

Dr Didier Haguenauer, CH Louis Mourier 

Caroline HENRY, Co-présidente de l’InterCLAN Via Rhôna

Dr Corinne Joubert, RESCLAN Normandie

Dr Séverine Ledoux, hôpital Louis Mourier

Dr Aurélie Malgras, CHRU de Nancy  

Dr Johann MORIZOT, CH Annecy-Genevois

Dr Mathilde MERCKX FRATY, CHU de Poitiers

Dr Marie Phelouzat, Hôpitaux du Sud Manche

Dr Bruno Raynard, Institut Gustave Roussy

Julie RIEUBON, Co-présidente de l’InterCLAN Via Rhôna

Pr Stéphane Schneider, CHU de Nice

Dr Mary Soudani, hôpital Bicêtre

Dr Frédéric Valla, Hospices Civils de Lyon 

Dr Damien Vansteene, InterCLAN des Centres de lutte contre le Cancer (CLCC)

Dr Antoine Vignoles, CHU Nord de la Réunion 

Dr Philippe Walker, CH Jacques Cœur de Bourges 

Responsables des Unités Transversales de Nutrition hospitalières :

Dr Claire Blard, responsable de l’Unité Transversale de Nutrition Clinique du CH de Mâcon

Céline Dupy-Richard, CHU Montpellier

Dr Véronique Savey, PH nutrition, CHU Caen 

Pr Ronan Thibault, CHU Rennes

Signatures à titre individuel

Dr Aurore BISIAUX, Responsable d’Unité— Médecine Court Séjour Gériatrique, Pôle 4, Hôpitaux du Sud Manche

Dr Diana Cardenas-Braz, Institut Gustave Roussy

Maëva Duquesnoy, praticien hospitalier au sein du service de Nutrition clinique de l’hôpital Paul Brousse

Francette Fleho, cadre de Santé de l’hôpital Louis-Mourier

Pr Arnaud de Luca, médecin au CHU de Tours

Pr Isabelle Prêcheur, chirurgien-dentiste au CHU de Nice et Professeur à l’Université Côte d’Azur

Marie-Laure Rouleaux, diététicienne et Vice-Présidente du CLAN de l’Hôpital Vaugirard Gabriel-Pallez

Dr Albane de THEZY, membre du CLAN de l’hôpital Sainte Périne

Dr Cyril Sellier, membre du CLAN de l’hôpital Ambroise Paré

Gaëlle Soriano, diététicienne au CHU de Toulouse

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