Des projets de recherche pour réenchanter l’acte alimentaire

Claire Sulmont-Rossé, Virginie Van Wymelbeke

Claire Sulmont-Rossé est directrice de recherche de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Virginie Van Wymelbeke est docteur en nutrition de la personne âgée. Elles sont toutes les deux très impliquées dans trois programmes de recherche (Aupalesens, Renessens, AlimaSSenS) ayant pour objectif d’associer nutrition et sensorialité pour lutter contre la dénutrition de la personne âgée.

Le Collectif de lutte contre la dénutrition : Pourquoi s’intéresser à la notion de plaisir comme facteur de lutte contre la dénutrition ?

Claire Sulmont-Rossé, Virgine Van Wymelbeke : L’acte alimentaire ne se résume pas à la satisfaction d’un besoin physiologique. L’enquête Renessens a montré que pour 88 % des personnes âgées dépendantes pour leur alimentation, il est important d’avoir des aliments savoureux. Le plaisir de manger est une composante essentielle de la régulation de la prise alimentaire. Il est donc indispensable de prendre en compte la dimension nutritionnelle et la dimension plaisir dans le développement de solutions pour permettre aux personnes dénutries de couvrir leurs apports nutritionnels.

CLD : La dénutrition est-elle un facteur d’aggravation de la dépendance ?

CSR, VVW : Le taux de dénutrition augmente en effet significativement avec l’avancée en âge et l’aggravation de la dépendance, en Ehpad et à domicile, mais on ne connaît pas encore le lien de cause à effet : est-ce la dépendance qui crée la dénutrition ou est-ce la dénutrition qui conduit vers la dépendance ? Quoiqu’il en soit, malgré les moyens mis en œuvre dans la prise en charge des seniors dépendants, le risque de dénutrition reste élevé au sein de cette population.

CLD : Est-ce le manque de diversité de l’alimentation qui explique le taux de dénutrition en EHPAD ?

CSR, VVW : Il est certain qu’une certaine uniformisation des goûts ou des menus peut conduire à la dénutrition. Toutefois, les menus sont souvent beaucoup plus variés en institution qu’à domicile. En fait, la cuisine collective crée une distanciation entre la personne âgée et son alimentation, qui peut la conduire à « lâcher prise ». Pouvoir choisir ses menus, assaisonner les aliments à son goût, être impliqué dans la préparation des repas (l’épluchage des légumes, par exemple) sont autant de leviers permettant de se réapproprier l’alimentation et d’avoir – encore – envie de manger.

CLD : Qu’est-ce qui explique ce phénomène à domicile ?

CSR, VVW : Dès lors qu’une personne délègue ses activités alimentaires, elle est confrontée aux goûts et à la façon de cuisiner de l’aidant, qui trop souvent va faire « à sa place ». Il est essentiel d’identifier ce que la personne âgée a envie de manger et ce qu’elle est encore capable de faire avant de décider pour elle et de faire à sa place.

CLD : Que retirez-vous de vos différents travaux ?

CSR, VVW : Nos travaux nous confortent dans l’idée que nutrition et plaisir doivent être pensés ensemble, à la fois comme facteurs de protection, en prévention de la dénutrition, et comme leviers pour améliorer la prise alimentaire. Nos travaux ont montré qu’il est possible de réenchanter l’acte alimentaire en proposant de la variété sensorielle dans les assiettes ou en retravaillant les recettes avec les personnes âgées. Il est essentiel de poursuivre en ce sens, afin de permettre aux personnes de couvrir leurs besoins nutritionnels tout en tenant compte de leurs préférences et de leurs habitudes alimentaires, de leurs difficultés et de leurs capacités. Manger est et doit rester un plaisir !

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