La santé de la bouche conditionne la prise des aliments

Jacques Wemaere

Docteur en chirurgie dentaire, vice-président de l’Union française pour la santé bucco-dentaire (UFSBD) en charge des programmes de santé publique.

Le Collectif de lutte contre la dénutrition : Comment la santé bucco-dentaire influe-t-elle sur la dénutrition ?

Jacques Wemaere : La santé bucco-dentaire conditionne la capacité mais également l’envie de manger. La perte de dents entraîne la réduction du potentiel masticatoire et de la capacité de salivation, à l’origine d’un ensemble de pathologies (caries, aphtes, candidoses…) qui vont modifier la perception du goût et influer sur le choix des aliments. La personne va privilégier les aliments mous, ou bien, si elle est agacée par une douleur, les aliments sucrés, épicés et forts : elle ne va pas rechercher la nuance ni la texture. Elle peut donc surcompenser en mangeant davantage mais également se désengager nutritivement. C’est pourquoi il faut absolument combattre l’idée que s’il manque une dent, qui plus est si elle ne se voit pas, ce n’est pas grave.

CLD : Quel est le rôle du dentiste dans la lutte contre la dénutrition ?

JW : Notre rôle est d’abord de réhabiliter la bouche. Pour autant, si vous vous contentez d’appareiller une personne âgée et de soigner ses problèmes dentaires sans lui proposer de soins d’hygiène, vous ne faites que déplacer le problème. La personne va se blesser avec son appareil, il va s’entartrer et elle finira par le mettre de côté. C’est la raison pour laquelle nous essayons de former le personnel et les familles à la question bucco-dentaire dans les maisons de retraite, et de mettre en place des protocoles d’hygiène avec les aides-soignantes. Or la lutte contre la dénutrition ne se joue pas quand le malade a déjà perdu plus de 10 kilos ou qu’il est hébergé en institution. Notre rôle consiste donc aussi à identifier les patients à risque pour les orienter vers le médecin nutritionniste ou le médecin généraliste. Hélas, la réciproque est rarement vraie…

 CLD : Est-ce que le fait de ne pas manger a des conséquences sur la santé bucco-dentaire ?

JW : Il faut bien comprendre que c’est la fonction qui crée l’organe. Si on ne l’utilise pas, il cesse de se développer. Réapprendre à mâcher est donc quelque chose d’extrêmement compliqué quand la personne a perdu l’habitude de s’alimenter.

CLD : Pourquoi les chirurgiens-dentistes ne sont-ils pas intégrés dans la réflexion sur l’alimentation, notamment à l’hôpital ?

JW : Nous ne sommes présents que dans les CHU rattachés à une faculté dentaire, soit trente villes en France. Nous ne sommes donc ni mobilisables dans les réseaux de réflexion autour de l’alimentation, ni en mesure de sensibiliser l’hôpital aux enjeux de la santé bucco-dentaire. On se retrouve donc avec des patients qui naviguent à l’aveugle entre leur médecin généraliste, l’hôpital et les professionnels de santé en ville.

CLD : La lutte contre la dénutrition passe-t-elle par une sensibilisation de l’opinion publique ?

JW : Nous pouvons savoir si un patient a un risque dénutritionnel en observant sa bouche, mais nous ne pouvons réellement dépister la dénutrition qu’à partir du moment où il nous parle spontanément de ses difficultés à s’alimenter. C’est ce message que nous devons réussir à transmettre avant tout.

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