Le syndrome de fragilité

Françoise Forette

Professeur émérite des universités (CHU Cochin, université Paris-Descartes, 75), directrice d’International Longevity Center France, présidente du collectif « Alzheimer, Grande Cause nationale », chroniqueuse santé pour Europe 1.

Le Collectif de lutte contre la dénutrition : La dénutrition est souvent associée au syndrome de fragilité. Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène ?

Françoise Forette : Le « syndrome de fragilité » est une vulnérabilité au stress. Il se manifeste chez des personnes encore autonomes, mais qui, lors d’un choc émotionnel – une chute ou un veuvage par exemple − vont glisser vers la dépendance, alors qu’une personne encore robuste va se remettre de ce stress. Or la caractéristique de la fragilité est la dénutrition et ses symptômes associés (perte de la masse et de la force musculaire, sédentarité, diminution de l’activité physique et de la marche). La dénutrition doit donc être diagnostiquée très tôt car elle est réversible à ce stade, alors que la dépendance ne l’est plus. Mais pour la diagnostiquer, encore faut-il y penser, ce qui n’est pas toujours le cas, loin s’en faut. C’est pourquoi il est indispensable de demander systématiquement aux personnes âgées si elles ont perdu du poids de façon involontaire et de les inciter à ne pas cesser de se peser car c’est cette perte de poids qui est le véritable indice de la dénutrition.

CLD : La dénutrition est-elle inéluctable avec l’avancée en âge ?

FF : La dénutrition se combat très bien si l’on donne aux personnes âgées des conseils nutritionnels adaptés, par exemple qu’il est nécessaire d’ingérer plus de 2 000 calories par jour et de maintenir un bon niveau protidique, notamment en consommant trois laitages par jour ! L’alimentation doit rester un plaisir et une source de conviavilité. Certes, le cercle social tend à se rétrécir avec l’âge, mais la majorité des municipalités se dotent de clubs de personnes âgées où l’on peut prendre ses repas. Les régimes restrictifs ou sans sel, hautement anorexiants, sont quant à eux une aberration, y compris chez les patients hypertendus ou cardiaques chez qui on se rend compte aujourd’hui qu’ils ne sont pas nécessaires pour guérir. Mais il faut également engager la majorité des seniors à pratiquer ou à renouer avec une activité physique adaptée. Par exemple, la pratique du tai-chi, en dépit de son aspect statique, est excellente pour combattre la sarcopénie !

CLD : L’ILC organise des campagnes de prévention en entreprise. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette initiative ?

FF : L’accessibilité à la prévention dépend du niveau d’éducation et de la disponibilité de chacun. Or le lieu de travail permet précisément de casser cette barrière éducative et d’apporter l’information là où les gens sont capables de l’écouter. Qui va sur le site du Programme national nutrition santé (PNNS) ou de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) le week-end ou le soir en rentrant du boulot ? Nous avons mené un projet de recherche en partenariat avec trois entreprises visant à montrer qu’un programme de prévention dans les locaux de l’entreprise et organisé sur le temps de travail des salariés permettait d’égaliser les niveaux d’éducation, de changer les comportements et d’améliorer l’image de l’entreprise. Nous avions axé nos campagnes de prévention sur la nutrition, l’activité physique et la prévention du mal de dos. Et ça marche ! Lorsqu’on fait de la prévention en entreprise, on atteint toutes les couches de la population. C’est un puissant vecteur pour lutter contre la dénutrition à tous les âges. Pourquoi ne pas labelliser les entreprises en bonne santé ? C’est une piste qui me semble intéressante à creuser.

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