La dénutrition infantile a des conséquences tout au long de la vie

Emmanuel Mas

Secrétaire général du Groupe francophone d’hépato-gastroentérologie et nutrition pédiatriques (GFHGNP). Créé en 1987, le GFHGNP a pour mission de stimuler la recherche et les échanges entre gastroentérologues pédiatres. Sous son impulsion, cette discipline s’est affirmée en 30 ans comme une des composantes fortes de la pédiatrie.

Le Collectif de lutte contre la dénutrition : Quelles sont les conséquences de la dénutrition chez l’enfant ?

Emmanuel Mas : À la différence d’un adulte qui a fini sa croissance, l’enfant est un organisme en croissance. Pendant les trois premières années de sa vie, l’organe qui grossit le plus, c’est son cerveau. Cela veut dire que si l’enfant subit une dénutrition pendant cette période, elle pourra avoir des conséquences importantes au cours de la vie.

CLD : À quel moment la dénutrition apparaît-elle ?

EM : Pour des hospitalisations courtes, l’enfant peut arriver dénutri à l’hôpital, mais pour des hospitalisations plus longues, la dénutrition va se développer durant son séjour. En cas de maladie chronique, elle peut également apparaître après l’hospitalisation. Les pédiatres sont effectivement censés prendre en charge la dénutrition, mais nous nous heurtons à des problèmes de moyens.

CLD : Pourquoi la dénutrition est-elle si peu prise en charge chez l’enfant ?

EM : Il faudrait beaucoup plus de personnels à l’hôpital, mais également à l’extérieur de l’hôpital pour assurer un relais de proximité avec le médecin traitant ou des maisons spécialisées pour une prise en charge globale de l’enfant. Notre but est qu’un enfant dénutri ne sorte pas de l’hôpital sans prise en charge, mais nous avons besoin de soutien. Celui de l’administration est difficile à obtenir, car la dénutrition ne rentre dans aucune case pathologique ; on ne chiffre pas la comorbidité dans la tarification à l’activité par rapport à la raison de l’hospitalisation, donc le temps passé à lutter contre la dénutrition n’est pas chiffrable, donc reconnu. De plus, les CNO ont été déremboursés il y a quelques années pour les enfants de 1 à 3 ans , car les normes réglementaires ne correspondaient pas à la législation qui les contrôle. Or les enfants ont d’autres besoins que les adultes !

CLD : Quelles sont les solutions selon vous pour améliorer cette situation ?

EM : La situation est grave, voire alarmante. Il existe pourtant des solutions, mais nous les refusons. Nous pourrions mettre en place une prise en charge globale de la dénutrition qui associe la prise en charge hospitalière et la présence à domicile, accompagnée d’une réelle campagne de prévention. Nous pourrions imaginer une « guidance nutritionnelle » un peu sur le modèle de ce qui existe dans le domaine de la psychiatrie et de la psychologie, notamment pour les jeunes parents qui ne savent pas vraiment comment traiter ce problème voire tout simplement nourrir leur enfant. Il est également important de former les professionnels de la petite enfance pour qu’ils sachent dépister la dénutrition, avoir des outils pour mettre en place des actions nutritionnelles pour soigner la dénutrition. Enfin, les consultations de diététiques ne sont pas remboursées, obligeant les familles aux revenus les plus faibles, et généralement plus touchées par la dénutrition, à se priver de cette expertise indispensable. Bref, c’est tout le logiciel de la prise en charge qui est à revoir, car derrière la lutte contre la dénutrition, se posent des enjeux de société majeurs.

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