Un enfant dénutri est un enfant qui ne grandit plus

Régis Hankard

Professeur de pédiatrie à l’université François-Rabelais de Tours (37), coordonnateur de l’UTN du CHU de Tours, coordonnateur des recommandations pour le dépistage de la dénutrition en milieu hospitalier de la Société française de pédiatrie (SFP).

Le Collectif de lutte contre la dénutrition : Les enfants sont-ils concernés par la dénutrition ?

Régis Hankard : La dénutrition concerne tous les âges, du nourrisson à la personne âgée. Chez l’enfant, elle est généralement associée à une maladie. C’est donc à l’hôpital qu’elle est la plus fréquente, où elle touche 10 à 15 % des enfants. Les conséquences sont graves, car la dénutrition complique et ralentit la guérison de la maladie. Mais elles le sont d’autant plus chez l’enfant dans la mesure où le processus retentit sur le développement en général, et plus particulièrement sur la croissance.

CLD : Comment expliquez-vous qu’il y ait autant d’enfants dénutris à l’hôpital ?

RH : À l’hôpital, la dénutrition de l’enfant n’est prise en charge que dans un tiers des cas en raison de son manque de dépistage. Celui-ci est considéré comme un indicateur de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins (Ipaqss), mais seulement chez l’adulte. Faute de critères adaptés, son impact sur la lourdeur et le coût de la prise en charge n’est donc pas pris en compte en pédiatrie. Les outils sont pourtant simples. Il suffit de peser et de mesurer les patients à chaque hospitalisation ou consultation ; face à une perte de poids récente, l’examen clinique et l’histoire de la maladie permettent alors de confirmer une dénutrition. Il est donc urgent de mettre en place un dépistage systématique et de promouvoir des recommandations pour la prise en charge de la dénutrition chez l’enfant.

CLD : Comment réagissent les parents ayant un enfant dénutri ?

RH : Un enfant qui ne mange pas ou qui maigrit génère beaucoup d’anxiété chez ses parents. Au-délà du signe de gravité que représente la dénutrition, il y a aussi la relation à l’enfant qui est mise en question au travers de la symbolique de l’alimentation.. Un « forçage » est souvent entrepris, mais contre-productif. Il faut expliquer cela aux parents et leur apprendre à « optimiser » les repas, à choisir et enrichir les aliments, en tentant de lever leur anxiété. Il faut parfois recourir à une alimentation par sonde (entérale) ou par les veines (parentérale).

CLD : Vous êtes à l’origine du projet e-Pinut, quelles leçons peut-on en tirer pour l’avenir ?

RH : Le projet e-Pinut a débuté en 2010 et a obtenu le label SFNEP en 2012. C’est une initiative visant à promouvoir le repérage de la dénutrition en milieu hospitalier pédiatrique. Nous sommes le seul pays en Europe à disposer d’une telle initiative, qui est reconduite chaque année depuis sept ans. Plus de 70 centres en France y participent. Les chiffres de fréquence de la dénutrition en milieu pédiatrique cités plus haut proviennent de ces enquêtes qui reposent sur plusieurs milliers d’observations à chaque campagne. En pratique, ces initiatives impliquent l’ensemble des personnels de soins et sensibilisent au dépistage et à la prise en charge de la dénutrition. La mise en place d’un Registre national permettrait de disposer de chiffres fiables tout au long de l’année, de suivre l’évolution de ces situations de dénutrition au décours de l’hospitalisation et ainsi mieux adapter les modalités de prise en charge.

CLD : Existent-il des solutions, en plus de la création d’un Registre national, qui permettraient selon vous de lutter plus efficacement contre la dénutrition ?

RH : Les professionnels de santé disposent aujourd’hui d’une large étendue de produits et les dispositifs modernes de nutrition permettent de les administrer en toute sécurité. Il reste bien entendu des situations où la prise en charge nutritionnelle reste en défaut, soit parce que la maladie limite la mise en place des solutions, soit parce que celles-ci sont mal tolérées. De même, la stratégie nutritionnelle est parfois mal comprise par la famille, car exposée trop tardivement. Il faut alors trouver les mots pour convaincre et rassurer. C’est pourquoi nous devons améliorer la communication en direction des professionnels et du grand public. Il faut faire en sorte que l’on parle de la dénutrition très tôt dans l’évolution d’une maladie pour éviter qu’elle tombe comme un couperet lorsque celle-ci s’aggrave. Mais nous devons également encourager le patient et sa famille à être acteurs du processus afin d’améliorer l’évaluation nutritionnelle et sa prise en charge chez l’enfant. Cet accompagnement est un point majeur de l’approche thérapeutique, notamment chez l’enfant.

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