La question du bien vieillir est l’enjeu du prochain quinquennat 2017-2022

Marie-Anne Montchamp

Secrétaire nationale à la protection sociale chez Les Républicains, conseillère santé auprès de Nicolas Sarkozy, secrétaire d’État auprès du ministre des Solidarités, de la Santé et de la Famille (2004-2005) et auprès de la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale (2010-2012).

CLD : Lors du débat national sur la dépendance que vous avez mené aux côtés de Roselyne Bachelot, le problème de la dénutrition a-t-il été abordé ?

Marie-Anne Montchamp : Pendant ce débat, la question de la dénutrition a été évoquée à simple titre d’illustration de la perte d’autonomie. Petit à petit, j’ai compris qu’il y avait un syndrome de glissement qui expliquait la perte d’autonomie durable de la personne âgée, conduisant inéluctablement vers la dépendance : on commence par ne pas s’hydrater et ne pas se nourrir, des chutes surviennent, la peur monte et l’immobilisation contrainte par la chute amorce ce syndrome de glissement. Face à ce déterminisme, nous avons compris que l’enjeu pour la société française était de remonter vers les causes. Et dans les points clés de cette rétroaction permettant de prévenir la dépendance figure la lutte contre la dénutrition.

CLD : À quelle conclusion ce débat a-t-il abouti ?

MAM : Ce qui est ressorti de ce débat, c’est que notre pays, plutôt que de s’orienter vers des équipements curatifs pour lutter contre la perte d’autonomie, a opté pour une politique de multiplication des maisons de retraite. Nous devons au contraire diversifier notre réponse afin de laisser le choix du lieu de vie à nos compatriotes, en faisant en sorte qu’ils restent le plus longtemps possible à domicile. Ma conviction est qu’il faut éviter au maximum de terminer sa vie dans un établissement d’hospitalisation, parfois privatif de libertés, avec un coût souvent élevé, des familles doublement désespérées par la difficulté à trouver une place et le sentiment d’abandonner leur proche, et avec un gaspillage des deniers publics qui ne correspond pas à ce que peut être une ambition collective. Notre objectif a donc été de mettre en place une politique plus large avec une meilleure compréhension des mécanismes de prévention, des stratégies croisées de maintien de la vie sociale et une percussion sur les politiques de santé afin de limiter les hospitalisations. En fin de compte, lutter contre une gabegie organisée, doublée d’une violence sociale insigne.

CLD : Est-ce que notre société est prête à bien vieillir ?

MAM : Notre société n’a pas le choix. Le problème c’est que nos comptes sociaux sont à bout. Chaque année, dès le mois de septembre, il faut aller chercher des financements sur les marchés pour boucler les comptes de la sécurité sociale. Or ces masses monétaires permettraient d’obtenir un effet de levier considérable si elles étaient mieux dépensées. La question de la dénutrition est emblématique de ce fait, par les coûts exorbitants qu’elle engendre. Celui de l’hospitalisation indue des personnes âgées représente par exemple plus de 2 milliards d’euros; et je ne compte pas les maladies auxiliaires liées à la dénutrition, dont les maladies psychiatriques. De même, lorsque vous avez un parent dénutri qui perd son autonomie, avant que vous trouviez votre fameuse place d’Ephad, il va s’écouler un certain temps où vous allez avoir du mal à faire votre travail. Ce mauvais aiguillage a un coût qui pourrait être évité si la dénutrition était mieux dépistée et prise en charge.

CLD : C’est ce que vous dénoncez lorsque vous parlez de « gabegie » des finances publiques ?

MAM : Nous n’avons pas suffisamment fait évoluer notre système de sécurité sociale. On continue à avoir un hospitalocentrisme beaucoup trop fort. Je milite pour une ouverture des champs de protection à des domaines tels que le logement et le transport, et pour l’intégration de tous les acteurs qui gravitent autour de la personne âgée (aidants, proches, professionnels de santé, personnels paramédicaux, entreprises, aménageurs…), qui produisent des potentiels de transformation majeurs. Le problème est que la puissance publique n’arrive pas à intégrer ces innovations, mais se contente de les tolérer. Il faut au contraire qu’elles soient reconnues dans le système de remboursement. La réelle révolution consiste à mettre en cohérence cette constellation d’acteurs et à s’arracher des déterminismes administratifs ambiants qui entravent les capacités d’entraînement des professionnels santé à fonctionner en réseau. Peser des personnes âgées ne suffit pas, il faut ensuite appeler les infirmières, prescrire des compléments adéquats, se coordonner avec les auxiliaires de vies… Aujourd’hui, on ne sait pas comment financer la prévention alors qu’il faudrait que le médecin aille au domicile pour faire un bilan de l’état de santé et de la qualité de vie des personnes âgées et qu’il soit relayé par une équipe qui intervienne au plus près.

CLD : De quelle manière pouvons-nous mettre en cohérence cet écosystème sur les questions autour de la dénutrition ?

MAM : Il est nécessaire de mettre en place un véritable plan sur plusieurs années où nous poserions véritablement la question de la lutte contre la dénutrition. Le fait de l’ériger en « Grande Cause nationale » serait un bon vecteur pour ouvrir la problématique et rassembler l’ensemble des acteurs. Plus généralement, la question du bien vieillir doit devenir le chantier présidentiel prioritaire pour le prochain quinquennat, car la lutte contre la dénutrition en est une composante essentielle. Chaque candidat à la présidentielle doit s’engager pour faire bouger les choses sous son quinquennat.

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