On ne sait plus prendre soin

Père Jean-Marie Onfray

Théologien de formation, directeur du pôle Santé-Justice de la Conférence des évêques de France.

CLD : Vous avez été délégué diocésain à la Pastorale de la santé. Comment comprenez-vous que la dénutrition soit aussi fré- quente à l’hôpital?

Jean-Marie Onfray : L’hôpital crée de la dénutrition, car il crée de l’isolement et de la dépendance. Depuis la mise en place de la T2A, la durée des séjours hospitaliers et le temps d’accompagnement des malades ont été considérablement rac- courcis. L’objectif est d’augmenter la productivité des soignants pour permettre la réalisation d’un plus grand nombre d’actes. Or il est clair que faire une toilette à une personne âgée couchée est bien plus rapide que d’essayer de la lever et l’accompagner à la salle de bain. La dépendance est donc plus rentable pour l’hôpital que l’autonomie. De la même manière, l’alimentation n’étant pas reconnue comme un soin, elle n’est pas considérée comme une activité, donc elle n’est pas comptabilisée dans la distribution des repas. Le repas sera bien délivré, mais sans que le malade soit accompagné. Or le repas n’est pas simplement ce que l’on mange, mais avec qui on le mange.

CLD : La nutrition artificielle est parfois considérée comme quelque chose d’inhumain. Quel regard portez-vous sur cette question ?

JMO : La dénutrition fait perdre le goût de l’alimentation, et perdre le goût de l’alimentation, c’est perdre celui de vivre. La nutrition artificielle est donc fondamentale sur le plan religieux, car elle participe à redonner le goût de manger et donc l’envie de vivre aux malades dénutris. Les régimes restrictifs, au-delà d’un certain âge, sont à mes yeux beaucoup plus inhumains. Il vaut mieux bien vivre en mourant de son diabète que gagner quelques semaines de vie sans plaisir. L’enjeu de demain est évidemment de repenser la fin de vie, car la surmédicalisation ne permet pas forcément de voir venir la mort, et nous nous retrou- vons aujourd’hui bien loin de « la bonne mort » évoquée par Jean de la Fontaine.

CLD : Pour un croyant, la dénutrition est étroitement liée au rapport à l’autre. La lutte contre la dénutrition est-elle selon vous soluble dans notre modèle de société ?

JMO : Le rapport à l’autre est au cœur de la réflexion que nous devons mener pour faire face aux enjeux sociétaux de de- main. En 2060, une personne sur trois aura plus de 60 ans. L’ur- gence démographique va nous obliger à modifier notre vision du vieillissement, et à repenser la question de la nutrition, car elle constitue le fondement du vivre ensemble. Mais elle nous enjoint également à réévaluer notre modèle de société, fondé sur la performance et la rentabilité, si nous voulons résoudre le pro- blème que posera demain la question de l’utilité des personnes âgées.

CLD : S’il n’est pas encadré, le jeûne peut conduire à un état de dénutrition. Peut-on jeûner malade ?

JMO : Dans la tradition judéo-chrétienne, le repas est quelque chose d’essentiel. Ne pas se nourrir est même un péché contre le créateur. Contrairement à ce que beaucoup pensent, l’alimentation n’est donc pas le fondement du jeûne dont l’enjeu premier est la relation à Dieu, et donc la disponibilité dans la prière. De plus, le jeûne ne s’adresse jamais aux voyageurs, aux malades et aux plus de 65 ans, qui plus est quand il concerne l’alimentation. Ainsi, le jeûne n’est en rien lié à la dénutrition. C’est même l’inverse!

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