La transversalité hospitalière, une révolution dans la lutte contre la dénutrition

Agathe Raynaud-Simon

Chef du Département de gériatrie des hôpitaux Bichat (75) et Beaujon (92), professeur de gérontologie à l’université Paris Diderot (75), membre du Laboratoire de biologie du vieillissement de la faculté de pharmacie de Paris. Agathe Raynaud-Simon représente la Société francophone de gériatrie et de gérontologie (SFGG) pour le Collectif.

Le Collectif de lutte contre la dénutrition : La dénutrition est un phénomène répandu en institution, et notamment à l’hôpital. Sait-on précisément combien de malades sont touchés par ce phénomène ?

Agathe Raynaud-Simon : La dénutrition concerne environ 30 % des malades hospitalisés, avec des conséquences colossales puisqu’elle accroît le risque d’infections nosocomiales, de complications postopératoires, d’escarres, de séjours prolongés et de décès. Pourtant, l’hôpital représente un lieu particulièrement propice au diagnostic de la dénutrition et au démarrage de la prise en charge nutritionnelle, qui pourra ensuite être poursuivie à domicile. Le problème est que la dénutrition n’est pas suffisamment reconnue par les professionnels de santé dans la plupart des services de spécialités médico-chirurgicales. Depuis une quinzaine d’années au moins, les Clan tentent de former les personnels au dépistage et à la prise en charge de la dénutrition, mais force est de constater que les pratiques professionnelles ont peu évolué.

CLD : Vous militez pour le développement des unités transversales de nutrition (UTN). En quoi consistent-elles ?

ARS : Les UTN sont en quelque sorte le bras armé des Clan. Ce sont des équipes mobiles composées de plusieurs professionnels (médecin nutritionniste, diététiciennes, infirmières, pharmaciens…), qui interviennent à la demande des professionnels de l’hôpital. Ce sont de véritables unités qui ont une activité à la fois clinique, de formation et de recherche. L’UTN va se déplacer dans l’ensemble des services pour visiter les patients, évaluer leur statut nutritionnel et faire des propositions de prise en charge ou de suivi. La plupart d’entre elles organisent également des consultations en hôpital de jour. Leur grande force est de positionner un médecin au centre du dispositif de soins et d’envisager la nutrition comme une spécialité transversale. Elles représentent pour moi la solution la plus concrète et la plus simple à mettre en œuvre : il suffit qu’un médecin dont le patient a maigri nous prévienne. C’est tout ce dont on a besoin pour déployer un diagnostic et agir.

CLD : Combien existe-t-il d’UTN en France ?

ARS : En Europe, seuls 2 à 7 % des établissements de santé disposeraient d’une UTN. Nous estimons qu’il en existe en France une cinquantaine pour 3 192 établissements de santé au total. C’est bien, mais cela reste dérisoire au regard du coût que représente la dénutrition ! On sait qu’elles permettent de rencontrer un grand nombre de patients, d’améliorer les pratiques en sensibilisant les autres services, de prévenir un état de dénutrition et maintenir les malades à leur domicile grâce à l’éducation thérapeutique qu’elles proposent. Le ministère de la Santé salue leur efficacité : nous demandons qu’il incite concrètement les directeurs d’hôpitaux à créer des UTN. La direction générale de l’Offre de soins (DGOS) a ainsi lancé à titre expérimental 8 UTN en France en 2008 et le bilan établi en 2011 montre qu’elles ont permis une nette amélioration du dépistage des troubles nutritionnels, une valorisation des stratégies de prise en charge et un impact positif sur la qualité des soins puisqu’elles réduisent les coûts de santé et des séjours hospitaliers. À grande échelle, les économies seraient énormes. L’hôpital connaît de grandes contraintes budgétaires, mais il est possible de faire fonctionner une UTN sur l’économie qu’elle génère. Toutefois, si l’on souhaite que ces UTN deviennent un vrai réseau de lutte contre la dénutrition assurant un suivi à domicile, il nous faudra inévitablement davantage de moyens.

CLD : Les UTN sont-elles suffisantes pour résoudre le problème de la dénutrition à l’hôpital ?

ARS : Non, bien sûr, l’hôpital doit également faire des efforts sur le plan des plateaux-repas qu’elle propose et de l’accompagnement des activités des patients. Soigner la dénutrition, c’est aussi stimuler les muscles. Les patients souffrent de fatigue longtemps après la sortie de l’hôpital. L’activité physique, notamment la mobilisation précoce, couplée à une bonne alimentation peut pallier cette fatigue. Lorsqu’on se préoccupe de l’autonomie du malade (s’asseoir, marcher, aller aux toilettes…), qu’on le stimule et qu’on le mobilise, on sait qu’il peut retourner plus rapidement à son domicile que lorsqu’on le laisse au lit toute la journée. Cela ressemble à des petits détails mais ils peuvent changer la vie des patients.

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