L’hygiène bucco-dentaire, barrage contre la dénutrition

« La bouche joue un rôle dans l’alimentation. La respiration. Le plaisir à travers le sens du goût. La relation aux autres par la communication à travers la parole. L’apparence — entre autres le sourire. L’affectivité avec le baiser et les rapports sexuels.

Les dents — du fait de leur inscription dans la bouche — y participent bien évidemment.

La bouche n’est-elle pas le carrefour de la vie ? 

Une mauvaise santé bucco-dentaire a des répercussions générales sur toutes les dimensions de la santé. Physiques, psychiques et sociales. 

Comment ne pas admettre une corrélation directe entre l’état de santé bucco-dentaire, l’alimentation et la santé ?

Le vieillissement physiologique ainsi que la mauvaise hygiène agissent sur la détérioration de l’état buccal. Des prothèses, mais aussi des dents restantes. 

Un état bucco-dentaire détérioré, un manque d’hygiène, des prothèses inadaptées, la présence de caries, de fractures multiples provoquent des douleurs, des altérations. 

Ce qui a forcément une incidence sur le choix des aliments, le plaisir, l’appétit et la difficulté à mastiquer, à déglutir et à manger qui entrainent des carences. 

L’hygiène et la santé orale ont donc des conséquences sur la qualité de vie, l’estime de soi et bien entendu sur la nutrition. »

Extrait de L’Etat Buccodentaire / Joseph-John Baranes et Philippe Hugues in Guide Pratique du vieillissement (2016)

Je tenais à ouvrir mon témoignage par ce texte que j’ai co-écrit avec Philippe Hugues. Je trouve que ces points-là sont centraux pour expliquer le rôle de la cavité buccale dans tous nos échanges avec l’extérieur.

Tout passe par là.

La bouche : le premier carrefour du tube digestif 

Dr Joseph-John Baranes : La bouche c’est le premier carrefour du tube digestif. C’est là que commence la partie sensitive du goût. Le plaisir de manger. C’est la place du choix des aliments aussi. On ne va axer son alimentation que sur ce que l’on peut manger. 

La dénutrition est une maladie progressive, insidieuse et silencieuse qui se fait au premier abord par la sélection d’une alimentation qui est plausible à mastiquer ou à accueillir dans la cavité buccale. 

Dans ce processus, le rôle du tube digestif est déterminant.  

Une cavité buccale détériorée ne permet pas d’avoir les mêmes sensations gustatives, le même confort à la mastication et le même plaisir qu’une cavité saine. 

Quels sont les enjeux d’une bonne hygiène bucco-dentaire ? 

Dr Joseph-John Baranes : Elle permet de préserver l’efficacité, le plaisir, la mastication et la santé générale. 

En effet, des infections de la cavité buccale dégradent la santé de l’individu. La dénutrition en est une, mais les infections de la cavité buccale peuvent aussi entrainer d’autres maladies, comme les infections à distance.

Infection à distance 

Dr Joseph-John Baranes : Ce sont des infections qui passent à partir de la cavité buccale dans le contexte gingival dentaire et s’étendent à d’autres organes. On a pu prouver des problèmes cardio-vasculaires, des répercussions du diabète. Enfin, sur les vois aériennes supérieures, un risque de septicémie par inhalation. Quand je vais respirer, ma cavité buccale étant infectée, j’infecte mes poumons.

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Quels publics sont menacés par la dénutrition due à une mauvaise hygiène bucco-dentaire ? 

Dr Joseph-John Baranes : C’est un risque pour tous les âges. À partir du moment où j’ai un problème dentaire, je me retrouve dans un choix de mes aliments.

Je vais essayer de me faire plaisir et si je perçois une difficulté, comme une carie profonde, je vais éviter de manger de ce côté-là et ma perception va me faire modifier mon alimentation. 

Il suffit d’une dent pour poser un problème, m’amener à changer une partie de mon alimentation et créer des choix qui ne sont pas naturels. 

Ils vont entrainer des problèmes de mastication et de déglutition. 

Je vais moins mâcher, plus avaler directement et provoquer des problèmes de déglutition et de digestion. 

Je vais aussi, sans le savoir, introduire des problèmes de carence en vitamines et en fibres parce que je ne vais pas prendre de choses que je ne peux pas mastiquer très fort. 

Je vais me rabattre sur une alimentation plus collante, plus sucrée pour compenser. 

À partir de ce moment là, quel que soit l’âge, je vais introduire des modifications sur mon alimentation qui vont avoir des répercussions sur ma santé. 

Quelle est la solution pour éviter cette spirale ? 

Dr Joseph-John Baranes : La solution est de sensibiliser et informer par des campagnes de préventions adaptées à toutes les cibles. 

Pour les plus jeunes, un contrôle a minima bisannuel est indispensable. C’est lors de ces consultations que le dentiste aborde tous ces problèmes de maintien. 

Quand la douleur est là, malheureusement, on a déjà atteint une partie de la dentine innervée et il est un peu tard pour agir. L’intrusion et la destruction dans la dent sont déjà très importantes. 

C’est pourquoi je considère que le plus important c’est une prévention très large avec des campagnes massives et directionnelles. Vers les professionnels de la santé au sens large et interprofessionnel, mais aussi au niveau des aidants familiaux, des conjoints. 

Au niveau des écoles. Ce travail a été bien mené ces 30 dernières années et on voit une évolution considérable au niveau de la prévention. Je vois dans mon cabinet des enfants qui ont l’habitude de se faire dépister.

La peur du dentiste explique-t-elle la réticence de certains Français à consulter aussi régulièrement que nécessaire  ? 

Dr Joseph-John Baranes : C’est générationnel, oui. Ces personnes âgées ont vécu les soins dentaires dans la douleur. Avec un contexte de soin qui était plus intrusif, difficile à tolérer, des bruits, des anesthésies moins efficaces. Des difficultés techniques que nous n’avons plus. 

Aujourd’hui, la jeune génération est plus motivée à l’hygiène dentaire. Elle a moins de pathologies et quelques fois vient par plaisir. J’ai certains petits patients qui disent à leurs parents : « quand est-ce qu’on retourne chez le dentiste ? », alors que je viens de les voir.

Plus on verra la cavité buccale, plus on dépistera les pathologies en phase initiale. 

Les générations futures auront donc moins de problèmes bucco-dentaires que leurs ainés ?

Dr Joseph-John Baranes : Nous rencontrerons moins de détérioration de la cavité buccale, mais nous serons confrontés à d’autres problèmes. Notamment à cause de la généralisation de l’implantologie. 

Il y a encore 20 ans, les personnes âgées s’accommodaient de prothèses mobiles. 

Aujourd’hui, l’objectif c’est le maintien de la cavité buccale en remplaçant les dents perdues ou détériorées par des implants. En Ehpad, nous sommes confrontés à des problèmes avec l’entretien des implants qui ont été posés il y a 20 ou 30 ans.

Le problème avec les implants  

Dr Joseph-John Baranes : L’implantologie nécessite une hygiène adaptée et avec le vieillissement on a moins d’acuité sur cette hygiène qui demande à être parfaite. On aura des problèmes d’inflammation si on est tributaire d’un tiers pour cette hygiène.

L’implant nécessite un nettoyage encore plus méticuleux que le nettoyage autour d’une dent. Nous sommes témoins d’implants qui vieillissent mal, car les personnes âgées n’ont plus la capacité de bien les entretenir.

En Ehpad, les soignants qui font les toilettes ne sont pas familiarisés avec les implants et leur entretien. Un travail de formation doit être fait pour veiller au maintien des prothèses et implants en état chez les patients âgés et dépendants.  

La corrélation entre dénutrition et hygiène bucco-dentaire en Ehpad

Dr Joseph-John Baranes : Seulement 3 % des résidents d’Ehpad gardent une dentition saine. Dans ces établissements, 15 à 38 % des résidents sont dénutris, selon la HAS. Voilà un gradient très important qui nous indique qu’à l’endroit où la dentition est la plus détériorée, nous avons la plus grande prévalence en dénutrition. 

C’est faire la preuve que la notion d’hygiène bucco-dentaire a un lien direct avec la dénutrition. 

Mais bien sûr, on ne peut pas considérer que la seule influence c’est l’état bucco-dentaire. C’est une des composantes de la dénutrition.

La spirale de la dénutrition chez les personnes âgées polymédicamentées

Dr Joseph-John Baranes : Les personnes polymédicamentées ont souvent des médications qui les privent de salive. Ils sont sialoprives. C’est le cas des traitements dans le cadre des MAMA (maladie d’Alzheimer et maladies apparentées). Ces patients souffrent de candidoses buccales. C’est-à-dire une langue rôtie, des muqueuses insupportablement douloureuses et presque brûlantes. Je vous laisse imaginer combien j’ai envie de manger avec ça.

Même avec un personnel adapté, un chef de cuisine exceptionnel avec un finger food, vous avez un contexte de base qui ne permet pas d’aller dans le plaisir, le choix des aliments et dans l’appropriation de cette alimentation au besoin.

Mon plan d’action pour l’hygiène bucco-dentaire

Dr Joseph-John Baranes : 

Le premier axe, c’est la prévention à tous les étages de la société. 

Faire en sorte que l’hygiène soit au rendez-vous et le plaisir également. Cette hygiène doit se faire avec plaisir. 

La deuxième direction c’est répondre aux besoins de formation de toutes les catégories de soignants, avec une pédagogie adaptée et en favorisant des relations interprofessionnelles d’expert à expert. La personne qui est au plus près du patient, c’est elle qui est experte pour aborder son aidé.

La troisième direction, c’est un dépistage systématique. Un bilan de santé orale doit être mis en place à tous les âges de la société. Il permettra d’avoir une vision générale une à deux fois par an des risques, des opportunités de traitement immédiat qui éviteront des détériorations du futur.

Le quatrième axe c’est de comprendre qu’une partie de notre population ne pourra plus assurer son hygiène au quotidien. Il faudra remettre en route des référentiels et évaluer la capacité des personnels à gérer ces populations.

Une autre direction, c’est d’avoir un parcours de soins totalement adapté avec une offre de soins graduée en fonction des différents besoins. Le cabinet de ville de proximité est ce qu’on mettra en priorité, mais peut être qu’on aura besoin d’une équipe mobile qui permettrait de mutualiser un cabinet dentaire entre plusieurs établissements. 

L’aménagement des cabinets. Un cabinet dentaire dans l’hôpital local. Des centres hospitalisés qui disposent de plateaux techniques adaptés constitueront un dernier recours pour le patient plus lourd à prendre en charge. Enfin, des réseaux de santé qui faciliteront par leur formation la prise en charge des personnes vulnérables ou en difficulté par rapport aux soins dentaires pour permettre d’avoir cette réalisation de soins graduée.

La réussite passerait par l’harmonisation et la diffusion de référentiels adaptés à tous les âges de notre civilisation, en termes d’hygiène, de parcours de santé et de prise en charge.

Il faudra également inclure dans la formation initiale des soignants (médecins, infirmières, AS) le module sur la santé bucco-dentaire et l’importance de la santé orale.

Enfin, il faudra concilier les soins qui ont pour objectif une bouche saine et propre, avec une absence de douleur et infection, une sensation de confort et retrouver le plaisir de manger et de prévenir cette dénutrition.

Confinement et prévention bucco-dentaire

Dr Joseph-John Baranes : Le confinement nous impose un changement de l’organisation de nos journées. Il provoque notamment un dérèglement horaire qui aboutit à des prises fractionnées de grignotage. Ces grignotages vont introduire une plus grande part d’acidité dans la cavité buccale. 

Il y a quelques conseils : 

  • Garder les mêmes horaires de lever, repas, brossage, coucher,
  • éviter de compenser par les sucreries ou brosser rapidement derrière,
  • On pourrait rajouter un brossage de plus dans la journée, 
  • Prendre plus de temps de mieux brosser pendant le confinement.

Il est souhaitable d’utiliser des dentifrices adaptés, des brosses à dents souples pour ne pas arriver à des urgences ou irritations. 

Connaissez-vous notre dossier spécial covid-19 : 13 conseils pour garder la santé pendant le confinement.

Biographie sélective

Dr Joseph-John Baranes : J’ai commencé au démarrage à enseigner la dentisterie opératoire c’est-à-dire les soins bucco-dentaires. Puis je me suis consacré à l’esthétique et au cours de ce travail, on m’a demandé d’aller faire un point sur le devenir des travaux bucco-dentaires avec l’âge. J’ai ouvert la porte pour la première fois d’un Ehpad. Et je ne vous parle pas du choc que j’ai reçu en pleine figure. Combien ai-je été surpris de voir l’évolution de travaux magnifiquement réalisés par des collègues, de leur état de détérioration en Ehpad par manque de soins ? 

J’ai alors fait une spécialité en DU de gérontodontologie chirurgicale et implantaire en 3 ans, à Paris Descartes. C’est à ce moment-là que j’ai travaillé avec l’ARS et Reunica (AG2R LA MONDIALE) à une étude consacrée à l’impact de la formation du personnel soignant sur l’évolution de l’état bucco-dentaire des résidents. Cette étude a été primée au congrès national de gérontologie en 2009. J’ai continué d’enseigner la matière à Paris Descartes et en ayant le contact avec le terrain, les Ehpad. En travaillant avec les kinés, orthophonistes et médecins, j’ai réalisé qu’une des problématiques les plus importantes dans les Ehpad c’était la dénutrition. 

C’est par ce biais que j’ai rencontré Éric Fontaine, car j’étais le responsable de toutes les actions bucco-dentaires de Régie 95, une association de 70 à 80 Ehpad du Val-d’Oise.

C’était au titre de cette association dont je suis le co-président du CLAN que j’ai rencontré Éric Fontaine et qu’on a échangé d’expert à expert de nos volontés d’agir ensemble contre la dénutrition

Je travaille également avec Agathe Raynaud-Simon depuis 2007, année où nous avons co-édité un article sur le dépistage de la dénutrition dans les cabinets dentaires.

Aujourd’hui, je fais de la formation, je suis le trésorier du conseil de l’ordre de Paris, je suis le référent handicap de Paris et le référent national Ehpad au Conseil national de l’ordre. 

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