Nous devons retrouver le sens de l’humain et de l’entraide

Anouar Kbibech

Président du Conseil français du culte musulman (CFCM).

CLD : On compte entre 2 et 6 millions de personnes dénutries en France. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Anouar Kbibech : Nous constatons que les liens familiaux sont de plus en plus distendus dans nos sociétés contemporaines et que les relations se déshumanisent. De fait, il n’existe pas vraiment de suivi collectif qui permette d’aider ceux qui n’arrivent plus à subvenir à leurs besoins ou qui se laissent dépérir. Ce relâchement du lien social fait que l’on accompagne de moins en moins ceux qui nécessitent une attention particulière, comme les patients atteints de dénutrition. Je suis originaire du Maroc où il existe une solidarité extrêmement forte à l’égard des personnes âgées, même chez les familles les plus démunies. En arrivant en France, j’ai découvert le concept de maison de retraite qui n’existe pas dans les pays musulmans, parce que certains versets du Coran sont très explicites sur la nécessité d’accompagner ses parents jusqu’au bout. Mahomet dit par exemple : « Le paradis est sous les pieds des mères. » C’est donc en bientraitant sa mère qu’on monte au paradis. Ainsi, on ne peut pas laisser une personne âgée dépérir sans qu’il y ait un accompagnement humain et nutritionnel. De même, de nombreux préceptes prophétiques incitent à accueillir son voisin avec les meilleurs mets possibles. Et pourtant, on ne le fait pas là où les personnes en auraient le plus besoin…

CLD : C’est cette déshumanisation des relations qui explique qu’ il y ait autant de personnes dénutries en institution ?

AK : Quand les personnes agissent dans le cadre de leur travail, beaucoup d’entre elles dépassent la dimension purement professionnelle. Mais si chacun reste dans le strict périmètre de son rôle professionnel ou social, il y a inévitablement une déperdition de l’attention portée à l’autre. C’est ce qui, je crois, participe ardemment à la prolifération de la dénutrition au sein de nos institutions. Je prône plus d’humanité et de chaleur dans la relation de soin.

CLD : Quelle place le Coran accorde-t-il à la nécessité de s’alimenter pour être en bonne santé ?

AK : Le respect de la vie est fondamental dans notre religion. Elle incite à profiter de tous les biens de la nature avec responsabilité et à tous les plaisirs licites, notamment le plaisir de la table, avec modération. La dimension nutritionnelle est donc importante pour tout musulman. Le prophète dit qu’il ne faut manger que lorsque l’on a faim. Ce précepte suppose de manger lorsque l’on a plus faim, mais également quand on en a besoin!

CLD : Ce précepte vaut-il également pendant le mois de jeûne du ramadan ?

AK : Le Coran condamne les excès, comme ceux qui conduisent à jeûner en continu. On dit d’ailleurs souvent que l’islam est la religion du juste milieu. Ainsi, la religion musulmane refuse qu’on délaisse l’alimentation et les plaisirs de la table. Le ramadan quant à lui ne dure qu’un mois et a plusieurs vertus : il permet de nettoyer son corps et d’épouser la condition des plus nécessiteux. Le jeûne est bien évidemment prescrit à tous les croyants, mais un certain nombre de dérogations sont octroyées : il est autorisé seulement une fois l’âge de la puberté atteint, il est interdit aux femmes qui allaitent ou qui sont dans leur période de menstruation, aux voyageurs, aux personnes âgées et aux malades chroniques. Pour cela, il est possible de compenser cette inaptitude à jeûner par une aumône de 5 euros par jour.

%d blogueurs aiment cette page :