Se nourrir est un acte religieux

Mikaël Journo

Rabbin de la communauté de Chasseloup-Laubat (75), aumônier général des hôpitaux de France, secrétaire général de l’Association des rabbins français, conseiller auprès du grand rabbin de Paris.

CLD : Quelle relation la religion juive entretient-elle avec l ’alimentation ?

Mikaël Journo : C’est une relation ancienne et complexe, mais extrêmement forte. Les interdits liés à l’alimentation font partie d’un ensemble de lois irrationnelles, les houkim, par lesquelles Dieu cherche volontairement à instiller le doute en créant des situations contradictoires, pour que chacun le découvre par sa propre volonté. Ainsi, dans la Bible, c’est par sa soumission aux lois alimentaires que l’homme doit prouver son obéissance à Dieu. Adam n’a d’ailleurs reçu qu’un seul commandement, celui de ne pas consommer le fruit de l’arbre interdit. Lorsque Noé sauve les espèces animales dans son arche, Dieu lui interdit de consommer de la viande. Il va ensuite produire au mont Sinaï un nombre beaucoup plus complet de lois alimentaires qui viennent régir le peuple d’Israël. Les lois alimentaires sont donc des caractéristiques exemplaires du peuple juif qui viennent sanctifier l’homme en spiritualisant le monde matériel. Par l’alimentation, Dieu invite l’homme à maîtriser ses sens, dominer ses plaisirs et mettre son corps au service de son esprit. Ainsi, on peut tout manger (les aliments cachers), mais dans la tempérance afin de préserver sa santé. L’idée fondamentale est que se nourrir n’est pas seulement vital, mais est également un acte religieux.

CLD : D’où la pratique du jeûne ?

MJ : Le jeûne permet de se détacher de la matérialité pour se concentrer sur ce qui est essentiel. On va donc se priver d’un ensemble de choses, dont l’alimentation, pour prendre du recul et rechercher la vérité. Mais la pratique religieuse suppose d’être en bonne santé, ce qui explique qu’on ne peut pas jeûner malade. C’est un principe essentiel de la tradition juive : tous les interdits alimentaires sont levés s’il existe un danger de mort. Si une personne a besoin de se nourrir, on se doit de l’aider à le faire, sinon cela s’apparente à une non-assistance à personne en danger. On doit donc nourrir l’homme lorsqu’il est malade.

CLD : En tant qu’aumônier, quel est votre rôle face à une personne dénutrie ?

MJ : La vie et la santé sont deux valeurs cardinales de la tradition juive. Notre mission est donc d’aider les patients à vivre en accord avec leurs croyances, mais jamais en concurrence avec les recommandations médicales. Nous essayons pour cela de nous adapter aux nouvelles questions de santé et d’être à l’écoute de l’évolution de la société. Nous faisons ce que l’hôpital ne peut pas faire : prendre soin des patients. Le bikour holim, qui signifie « rendre visite au malade », est un principe très fort dans notre religion. Il renvoie à une solidarité de présence, d’écoute, d’aide et de partage. Ainsi, face à une personne dénutrie, notre rôle est de l’accompagner afin qu’elle accepte de son plein gré les soins médicaux, de ne pas la laisser se mourir, mais en aucun cas de la contraindre, car nous risquons alors d’aggraver sa souffrance.

CLD : Comment peut-on lutter selon vous plus efficacement contre la dénutrition ?

MJ : La dénutrition est une véritable maladie dont beaucoup ne mesurent malheureusement pas la gravité. Il faut soutenir la recherche et les initiatives, et provoquer une prise de conscience notamment de l’opinion publique. Nous devons ne jamais cesser d’en parler, car personne ne peut rester indifférent face à un tel drame qui nous concerne tous.

%d blogueurs aiment cette page :