Il existe aussi des obèses dénutris

Laurence Plumey

Médecin nutritionniste diplômée de diététique, fondatrice de l’école de nutrition EPM Nutrition et de Nutriself et professeur de nutrition à l’École de diététique de Paris. Elle est également praticien hospitalier à l’hôpital Antoine-Béclère (Clamart, 94, Obésité de l’adulte et chirurgie bariatrique) et consulte à l’hôpital Necker-Enfants malades (Paris, 75, Obésité de l’enfant).

Le Collectif de lutte contre la dénutrition : Vous constatez dans votre pratique que les obèses sont souvent dénutris. Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène ?

Laurence Plumey : Il ne faut pas penser que la dénutrition soit réservée aux gens maigres ; elle peut concerner les personnes obèses, notamment celles qui suivent des régimes déraisonnablement restrictifs (moins de 1 000 kcal/j) ou qui ont subi une chirurgie bariatrique Le phénomène intervient en postopératoire. En cas de sleeve gastrectomie, par exemple, la personne dont l’estomac est réduit à un tuyau de moins de 15 mm de diamètre ressent beaucoup moins la faim et arrive très vite à satiété. Elle passe brutalement d’une alimentation à plus de 2 500 calories par jour à un maximum de 1 200 calories par jour. Certes l’amaigrissement est rapide, mais si la personne n’est pas bien conseillée et encadrée (alimentation riche en protéines et supplémentée en vitamines, minéraux et oligoléments), son corps va puiser dans sa masse musculaire et affaiblir ses défenses immunitaires. C’est le début de la dénutrition. Celle-ci est d’autant plus problématique que la personne ressent le fait de ne plus manger comme une grâce. La dénutrition s’intégrera donc dans une représentation positive de la perte de poids. Plus généralement, toute personne qui suit des régimes sévères ou qui jeûne s’expose à la dénutrition ; or après 30 ou 40 ans, la récupération est plus lente et difficile, exposant le sujet à de nombreuses complications : infections répétées, syndrome inflammatoire chronique, augmentation des risques de pathologies cardiovasculaires et métaboliques, troubles cognitifs (mémoire, concentration). On ne doit donc pas maigrir n’importe comment !

CLD : Selon vous, les moyens actuels de lutte contre la dénutrition sont-ils adaptés ?

LP : Dans notre société, l’obsession n’est pas de prendre du poids, mais d’en perdre par tous les moyens. C’est ce qui explique que la fréquence de la dénutrition augmente chez les sujets jeunes, notamment les jeunes filles anorexiques, de plus en plus nombreuses. Par ailleurs, les pertes de poids chez l’obèse opéré sont souvent impressionnantes car les obésités sont de plus en plus graves et morbides ; les solutions sont donc radicales et potentiellement dangereuses si elles ne sont pas bien encadrées. Il faut donc penser à rechercher systématiquement une dénutrition chez toute personne à risque : peser, faire un examen clinique complet et un bilan sanguin complet et rechercher les carences. Or ces opérations ne sont pour ainsi dire jamais réalisées en Ehpad ou dans les services de gériatrie où le taux de dénutrition avoisine les 70 % ! En ville, la lutte contre la dénutrition implique la mobilisation de l’ensemble des acteurs qui interviennent à différents moments du processus (médecins généralistes, infirmières, aidants). Malheureusement, les connaissances dont ils disposent sont trop souvent insuffisantes pour qu’ils puissent agir efficacement en amont. Or il ne faut pas attendre que la dénutrition s’installe pour commencer à s’en occuper. Une fois qu’elle est présente, il est difficile de remonter la pente que ce soit pour un enfant ou un sujet âgé, car un corps affaibli se remet difficilement. Il est donc impératif de faire de la prévention et de garder à l’esprit que nous sommes tous des dénutris en puissance !

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