La dénutrition coûte très cher à la société

Vincent Touzé

Docteur en économie, chercheur à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), membre du programme de recherche « Dynamique du vieillir » de l’université Sorbonne Paris Cité (75). Ses travaux de recherche se concentrent principalement sur l’économie du vieillissement, l’épargne et le financement des systèmes de retraite.

CLD : Le surcoût du vieillissement est souvent invoqué en raison de la progression alarmante de la dépendance des personnes âgées. Est-ce un argument économiquement fondé ?

Vincent Touzé : La perte d’autonomie engendre des surcoûts financiers (santé, aide dans les actes essentiels de la vie quotidienne, hébergement), aussi bien pour l’État que pour les familles, puisque 25% des dépenses liées à la dépendance ne sont pas prises en charge par le financement public. La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress) a estimé ce surcoût total à environ 30 milliards d’euros en 2011. Or ce bilan n’intègre pas les coûts cachés tels que le temps de travail gratuit des aidants familiaux, qui représenterait près de 50 % des dépenses directement imputables à la perte d’autonomie. Sachant que le nombre de personnes âgées dépendantes devrait doubler d’ici cinquante ans, l’enjeu est donc de trouver un juste équilibre entre le financement par la solidarité publique (budget de l’État, Sécurité sociale et collectivités locales) et le soutien privé (épargne individuelle, souscription à des contrats d’assurance dépendance, viager, solidarité familiale).

CLD : Connaît-on le coût réel de la dénutrition ?

VT : Les conséquences de la dénutrition sur l’état de santé sont désastreuses et génèrent un ensemble de surcoûts pour le système social et sanitaire, notamment une consommation accrue de médicaments et de soins médicaux ainsi qu’un allongement de la durée d’hospitalisation et de la durée des traitements : selon une étude anglaise de 2011, les patients dénutris voient en moyenne deux fois plus leur médecin généraliste, ont trois fois plus d’admissions à l’hôpital, y restent trois jours de plus et développent plus de comorbidités, avec de moins bons résultats. Ces surcoûts sont difficiles à chiffrer, mais sont potentiellement considérables. Une note du Medical Nutrition International Industry les estimait ainsi, en 2012, à plus de 170 milliards d’euros en Europe.

CLD : Prévenir la dénutrition n’est-il donc pas plus efficace que de pallier ses conséquences ?

VT : Au regard des coûts colossaux induits par la dénutrition (et qui sont probablement sous-estimés), la prévention constitue donc un enjeu majeur de politique de santé publique, qui nécessite de mobiliser un ensemble de leviers : 1) encourager les acteurs industriels, en particulier ceux de la silver économie, à développer des aliments à forte qualité nutritionnelle et qui améliorent l’appétence des personnes âgées, ainsi que des objets facilitant la préparation des repas et l’ingestion de nourriture; 2) renforcer la formation de l’ensemble des acteurs sociomédicaux et les familles pour identifier précocement les risques de dénutrition; 3) faciliter un meilleur accès à une nutrition adaptée en s’appuyant sur les acteurs locaux déjà très investis dans l’offre de repas aux personnes âgées (portage et restauration). Mais cet effort doit s’accompagner d’une évaluation, reposant sur la production d’un plus grand nombre d’études médico-économiques sur la dénutrition, en particulier des personnes âgées, afin de mieux chiffrer les coûts et les bénéfices induits par des mesures préventives.

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