Le bien-être nutritionnel permet d’apaiser l’esprit

Michel Aguilar

Vice-président de l’Union bouddhiste de France, président de la Commission des droits de l’homme de la Conférence des OING au Conseil de l’Europe.

CLD : Quelle relation le bouddhisme entretient-il avec l’alimentation ?


Michel Aguilar :
Le bouddhisme ne repose sur aucun dogme. Il n’y a donc pas de règles de discipline a priori. Les bouddhistes adaptent leur conduite aux préceptes énoncés par le Bouddha à mesure que cela fait sens, l’éthique individuelle primant sur les comportements. En Asie du Sud-Est, où s’est enracinée l’une des trois grandes traditions du boudhisme, les moines reçoivent dans leur bol à aumônes de la nourriture végétarienne qu’ils ne choisissent pas et se contentent d’un repas par jour. Il n’y a donc pas d’approche diététique particulière. Dans le bouddhisme zen, le repas est extrêmement codifié, car il fait partie de la méditation. Dans le bouddhisme himalayen, des rituels complexes sont orchestrés à travers tout un processus d’offrandes. Les approches sont donc extrêmement diverses et le plaisir n’a pas lieu d’être banni. Ainsi, les retraites de méditation, toutes traditions confondues, n’excluent pas un riche repas entre amis.

CLD : Quel est le rôle du jeûne dans la tradition bouddhiste ?

MA : La pratique du bouddhisme est une recherche perpétuelle visant à rendre l’esprit agile. L’essence du bouddhisme repose sur l’idée que l’esprit se méprend car sa perception du réel est déformée par le prisme de nos émotions. La démarche proposée consiste donc à apaiser l’esprit pour augmenter le discernement et aller vers l’aboutissement de la sagesse, c’est-à-dire l’éveil, malgré l’absence d’interdictions. Le témoignage du renoncement du Bouddha va dans le sens d’un tel allégement, mais celui-ci n’implique pas nécessairement qu’il faille se priver! D’une manière générale, le jeûne est corrélé à une pratique intensive, mais celle-ci n’est ni obligatoire ni normée. Dans le bouddhisme himalayen, par exemple, chacun est libre de fixer selon son propre calendrier la période où il va jeûner.

CLD : Pour autant, se nourrir est-il quelque chose d’important dans la tradition bouddhiste ?

MA : Le corps est le véhicule de l’esprit. Le bien-être physiologique doit donc être recherché tout au long de la vie, car il permet de clarifier ses pensées et d’accéder à une mort paisible. C’est pourquoi la dénutrition doit être combattue à tout prix, en particulier chez les personnes âgées, dans ce moment crucial de préparation à la mort. Pour la prévenir, il faut revenir à une forme de sagesse du corps à laquelle prépare la méditation qui assouplit l’esprit et permet d’être disponible pour tout régime alimentaire.

CLD : Si le bouddhisme permet d’améliorer son hygiène alimentaire, peut-il également lutter contre la dénutrition ?

MA : La dénutrition pose des questions fondamentales sur notre modèle de société dont l’idéologie dominante favorise l’égoïsme et l’exclusion. Ce qui caractérise le bouddhisme est précisément de nous faire comprendre que l’éthique ne peut être séparée de la sagesse de l’éveil qui est un puissant antidote à l’ignorance et la souffrance. C’est le message d’universalité du Bouddha. La méditation permet de retrouver cette unité fondamentale du corps et de l’esprit sans laquelle nos pensées n’ont pas de prise sur notre vie. En libérant notre esprit, nous pouvons ainsi modifier individuellement nos comportements et redonner un fondement aux valeurs qui guident notre action. C’est pourquoi je suis convaincu que la société civile a toute sa part à prendre dans ce combat si un collectif comme celui-ci l’aide à atteindre le cœur de chaque homme.

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