La diététique, grande oubliée de l’hôpital

Isabelle Parmentier

Cadre supérieure de santé au CHU de Lille (59), présidente de l’Association française des diététiciens nutritionnistes (AFDN).

Le Collectif de lutte contre la dénutrition : La diététique est souvent associée aux régimes restrictifs. En quoi consiste votre rôle dans la lutte contre la dénutrition ?

Isabelle Parmentier : L’objectif de la diététique est de restaurer l’équilibre alimentaire, pas nécessairement de faire perdre du poids. Non seulement la lutte contre la dénutrition relève pleinement de nos compétences, mais nous en sommes des acteurs essentiels par l’éducation et le suivi que nous réalisons au quotidien. En pratique, nous sommes responsables de la bonne prise alimentaire du patient, de son enrichissement et de sa supplémentation orale. Nous assistons le médecin dans la mise en place de la nutrition entérale, certains protocoles de soin nous autorisent même à installer une nutrition parentérale par délégation de tâche. Nous ne sommes malheureusement pas assez nombreuses dans les hôpitaux et surtout en ville, où nos actes ne sont pas reconnus par la Sécurité sociale, ce qui ne nous permet pas de prendre en charge les patients à l’extérieur des établissements hospitaliers. La loi Santé 2015 nous permet de le faire pour les enfants obèses, mais ce n’est pas assez compte tenu des besoins et de la réduction de la durée des séjours hospitaliers qui transfère mécaniquement une partie de la prise en charge en ville. Cette situation est d’autant plus aberrante que l’alimentation est reconnue comme un facteur qui impacte l’ensemble les pathologies.

CLD : Vous travaillez au CHU de Lille (59), un établissement réputé pionnier en matière de nutrition…

IP : Le premier service de nutrition en France a effectivement été créé par Monique Romon en 1995 au CHU de Lille et a servi de pilote pour la mise en place des unités transversales de nutrition (UTN). Ces UTN représentent un progrès considérable, car elles nous permettent de prendre en charge les patients dénutris, mais le contexte hospitalier actuel rend leur dépistage extrêmement compliqué. Aujourd’hui, par exemple, un malade du cancer va séjourner uniquement deux jours à l’hôpital pour une chirurgie ou un traitement par chimiothérapie et son état nutritionnel se dégradera à domicile. Or nous savons pertinemment qu’il ne se déplacera jamais pour cette raison. Nous disposons donc uniquement de quelques heures pour intervenir pendant la durée de son séjour. La difficulté est que nous ne sommes pas présents en permanence dans les services comme l’infirmière ou l’aide-soignante. C’est cette approche transversale de la nutrition, au cœur du concept des UTN, qui doit faire son chemin, car elle tranche avec le fonctionnement classique de l’hôpital.

CLD : Vous demandez depuis des années la réingénierie des études de diététique. Est-ce une condition pour lutter plus efficacement contre la dénutrition ?

IP : La lutte contre la dénutrition est même au cœur de cet enjeu. Actuellement, le volet pratique de notre formation se résume à quatre mois de stage ; or tout ne s’apprend pas uniquement à travers l’expérience et la formation continue. Nous demandons que la durée de nos études soit portée de deux à trois ans, comme c’est le cas dans un grand nombre de pays européens, mais nous nous heurtons à deux problèmes : le manque de reconnaissance de notre profession, qui nous rend inaudibles, et la difficulté de la nutrition à s’imposer dans le paysage de la santé en France comme une spécialité à part entière. Puisse-ce collectif nous aider à faire entendre notre voix.

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