La mucoviscidose, maladie des enfants dénutris

Virginie Colomb-Jung

Directrice du département médical de l’association Vaincre la mucoviscidose, pédiatre, responsable de l’Activité transversale de nutrition à l’hôpital Necker-Enfants malades (75) entre 1997 et 2013.

Le Collectif de lutte contre la dénutrition : Comment la dénutrition affecte-t-elle les malades atteints de mucoviscidose ?

Virgine Colomb-Jung : La mucoviscidose est provoquée par la mutation d’un gène qui empêche les cellules de s’hydrater. Cela se traduit par une viscosité anormale du mucus qui va venir obstruer les voies respiratoires et digestives, notamment le pancréas, à l’origine d’un grand nombre de complications (infections chroniques, diabète insulinodépendant, insuffisance pancréatique, inflammations intestinales, etc.). La mucoviscidose est donc une maladie à risque majeur de dénutrition par la combinaison de deux facteurs : une malabsorption des nutriments et des vitamines, et une hyperconsommation protéino-énergétique liée aux sollicitations de l’organisme sur le plan immunitaire et respiratoire. Les patients ont donc dès la naissance des besoins nutritionnels supérieurs à ceux de la population saine de même âge afin de compenser la perte en nutriments, liée aux anomalies fonctionnelles engendrées par la maladie. Ce déficit s’accroît avec l’âge, lorsque les complications infectieuses apparaissent. Le risque est alors que la dénutrition compromette une transplantation pulmonaire, qui est dans 20 % des cas la condition de survie du malade.

CLD : Vous avez corédigé la synthèse du Programme national nutrition santé (PNNS) où vous insistez sur l’importance du diagnostic de la dénutrition chez l’enfant. Sont-ils plus exposés à ce risque que les autres malades ?

VCJ : Toute pathologie peut être à l’origine d’une dénutrition chez l’enfant, mais son risque est aggravé ici par la spécificité de la maladie et la fréquence des hospitalisations qu’elle entraîne. Or un enfant dénutri est un enfant qui ne grandit plus. Sa croissance est ralentie, il s’arrête de grossir et il perd du poids. Sur le long terme, il devient un petit maigre qui, parce qu’il est petit, va paraître moins maigre. La dénutrition sera alors masquée par la fragilité de la silhouette, un « petit maigre » étant toujours moins impressionnant qu’un « grand maigre ». C’est la raison pour laquelle son dépistage doit être systématiquement organisé chez les enfants malades et surtout lors d’une hospitalisation où sa prévalence reste de l’ordre de 20 %. Mais il est certain que l’IMC n’est pas un indicateur pertinent dans la mesure où la dénutrition va impacter à la fois le poids et la taille.

CLD : Au début de votre parcours, quelle était la situation des patients sur le plan nutritionnel ? La situation s’est-elle améliorée depuis ?

VCJ : J’ai eu la chance de travailler à mes débuts avec quelqu’un qui représentait la lutte contre dénutrition à l’hôpital et de pouvoir participer à l’officialisation d’un service de nutrition. Certains hôpitaux bénéficient aujourd’hui d’une équipe de « support » en nutrition, mais le plus souvent, la prise en charge nutritionnelle des patients ne repose que sur les diététiciennes-nutritionnistes, qui sont à la fois insuffisamment formées, reconnues et nombreuses.

CLD : Les UTN répondent-elles à cet objectif ?

VCJ : Les unités transversales de nutrition (UTN) sont en effet indispensables dans la mesure où elles sont mobilisables à tout moment, mais il faut au préalable une véritable éducation à la dénutrition pour que les médecins acceptent qu’un confrère intervienne dans leur propre service et comprennent la nécessité de solliciter les diététiciennes. En revanche, on peut arriver à les convaincre de l’importance de dépister la dénutrition et de solliciter notre intervention. L’idée n’est pas de simplement donner au cardiologue une recette de cuisine à appliquer, mais de permettre au nutritionniste de voir le malade en consultation, de lui expliquer son état, d’établir un programme de soins et de l’appliquer.

Il est donc indispensable d’achever en parallèle la réforme des études diététiques et d’inscrire un temps dédié à la nutrition dans le cursus médical mais également dans celui des gestionnaires d’hôpitaux afin de les sensibiliser aux impacts économiques de la dénutrition sur l’ensemble de la chaîne de soins. Nous finançons des postes de diététiciens dans les centres de soins, à hauteur de 1,5 million d’euros par an, parce que l’État refuse de le faire ; nous nous efforçons également de mettre la nutrition en valeur à travers l’éducation thérapeutique et la formation des soignants, par exemple lors de la Journée annuelle des diététiciens. Mais nous ne pouvons pas porter sur nos épaules tout le poids de la lutte contre la dénutrition. Il est essentiel pour cela que le grand public s’approprie ce combat et qu’il soit alerté sur le risque de dénutrition contractée à l’hôpital, un peu sur le modèle des infections nosocomiales dont la presse s’est un jour emparée.

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